Corse : le très bon sujet de Canal+

Vendredi 7 février 2020 un reportage intitulé « Briseurs d’omertà » est diffusé sur Canal+ dans l’émission l’info du vrai.

Trente minutes pendant lesquelles la Corse est abordée au travers du crime organisé qui prospère sur l’île : règlements de comptes, détournement de subventions européennes, spéculation immobilière, trafic de drogues, etc. Mais la pègre semble avoir trouvé un adversaire de taille : la population locale qui se soulève, se mobilise et se révolte malgré les intimidations et les menaces de mort pour dire STOP à la mafia.

Étrangement le mot « mafia » n’est prononcé ni par les autorités publiques locales, ni par l’Etat français.

La mafia dérange jusque dans son appellation. Pourtant elle est bien présente comme le rappelle Claude Chossat, « repenti » de la mafia corse « cette mafia existe toujours et je pense qu’elle est devenue plus violente qu’avant. »

Le procès Chossat : le statut de coopérateur de justice en jeu

Comment parler des briseurs d’omertà sans revenir sur le procès de Claude Chossat de novembre 2019 ? Pour rappel, Claude Chossat est un ancien membre du clan de la Brise de Mer. Homme à tout faire de Francis Mariani, il décide un jour de parler et de révéler le fonctionnement interne du clan. Une décision qui l’a obligé a resté caché avec sa famille pendant prêt de 10 ans. Claude Chossat et sa famille en danger ; se cacher était la seule solution. Aujourd’hui ,Claude Chossat est incarcéré suite au jugement rendu en novembre dernier.

Incarcéré pour avoir parlé, le parti prit est fort. Il signifie que « la justice l’entend mais ne l’écoute pas ». Une écoute qui devait aussi jouer en faveur de la sécurité de Claude Chossat dont la vie est menacée. Son épouse, Sandrine Chossat déclare même que « l’envoyer en prison c’est l’envoyer se faire tuer« .

Fabrice Rizzoli, interviewé lors de la réalisation du reportage confirme l’importance de la parole de Claude Chossat :  » Nous avons pour la première fois une personne qui livre plus d’un an au cœur du réacteur d’une des plus grandes organisation criminelle. Cela a donné des informations incommensurables aux enquêteurs. Ceci a été confirmé par les policiers et par les gendarmes même avant le procès ».

A en croire la décision de la justice et la parole des spécialistes de la criminalité organisée, le chemin est encore long avant de voir naître en France les débuts d’un statut de coopérateur de justice.

Si à l’issue du procès j’ai une condamnation avec un retour en détention, c’est l’arrêt total du statut de repenti. Plus personne ne parlera.

Claude Chossat

Coopérer avec la justice : l’exemple de Tommaso Buscetta

L’importance d’un statut de coopérateur de justice peut se traduire dans l’exemple de Tommaso Buscetta. Grâce aux informations qu’il a livré, cet ancien mafieux est à l’origine d’un bond exceptionnel dans la lutte anti-mafia en Sicile.

« Tommaso Buscetta était protégé, il est arrivé devant le tribunal et là il y a eu un avant et un après coopérateur de justice ». On a pu savoir ce qui se passait à l’intérieur de la mafia, avant on ne le savait pas. Et comme on combat bien ce que l’on connaît, il faut avoir la parole des anciens gangsters. Cela a permis de limiter les violences, notamment de meurtre puisque comme on fait condamner les donneurs d’ordres, la mafia tue moins. » rappelle Fabrice Rizzoli.

Coopérer, écouter, protéger… beaucoup de mots qui restent des notions abstraites. Cependant certains événements poussent des individualités à s’élever et à se rassembler dans un seul et même but : ne plus se laisser intimider et contrôler par des mafieux qui ne compte plus leurs victimes.

S’opposer jusqu’à tout perdre

Alvaro Martino, entrepreneur, prend la parole. L’air triste et grave il décrit un scénario tragique. Son témoignage est celui d’un homme qui a perdu 3 de ses entreprises en voulant échapper à l’emprise mafieuse. Dire non à la mafia qui peut exiger des sommes d’argent par exemple c’est risquer de voir son travail détruit.

Les procédures judiciaires coûtent chères mais elles ne sont pas les seules responsables. Refuser de payer une « taxe » à la mafia c’est mettre son commerce en danger : le crime organisé semble pouvoir tout contrôler et notamment l’activité économique d’un territoire et donc des industries et entreprises qui y sont implantées.

Je refuse de tomber dans ce traquenard.

Alvaro Martino

Refuser de tomber dans le traquenard tendu par la mafia est une décision courageuse lorsque l’on sait que s’opposer c’est mettre sa vie en jeu.

Résister à en mourir

La Corse a connu une montée affichée de l’anti-mafia à la fin de l’année 2019 avec la création de deux collectifs : le collectif Massimu Susini et le collectif maffiaNo.

Massimu Susini, assassiné le 12 septembre 2019 pour s’être opposé à la mafia

La population corse ne veut plus se taire et voir ses enfants tués par le crime organisé. Briser l’omerta, alerter les pouvoirs publics, encourager les citoyens à se défaire de l’emprise mafieuse, informer et faire vivre la mémoire des victimes dans l’espoir qu’il n’y en aura pas de nouvelles… voilà le but de ces deux collectifs corses qui osent braver le pouvoir des mafieux.

Des ambitions mises à mal par la réaction des politiques. Interrogé, Jean-Toussaint Plasenzotti (oncle de Massimu Susini et créateur du collectif du même nom) nous fait part des blocages politiques et administratifs qu’il rencontre.

Alerter sur la situation que rencontre la Corse en matière de criminalité n’est pas si simple. Le simple fait de parler de « mafia » est décrié. Le problème serait alors le suivant : comment traiter un sujet aussi complexe que la criminalité organisée si le vocabulaire qui la compose ne peut être prononcé ? La parole des citoyens se libère alors même que celle des politiques reste contenue.

Dans sa croisade contre la mafia, il aimerait l’aide de l’Etat. Mais encore faut-il parler la même langue.

Piller l’Europe : la descente aux enfers des éleveurs

L’Etat fait la sourde oreille. Mais il n’est pas le seul ! L’Union Européenne est elle aussi sujette aux traquenards des mafieux. Des contrôles insuffisants, des abus et des millions d’euros perdus. Un bilan qui fait froid dans le dos.

L’association Anticor dénonce ces pratiques. Dominique Yvon, référent Corse d’Anticor nous amène sur des terres remplies de maquis et vides de toute installation. Ce qu’il annonce est édifiant : ces terres sont déclarées à l’Union Européenne comme terres de pâturages pour des troupeaux de bovins. Des bovins absents, une terre non accueillante pour cette activité… l’agri-mafia a encore frappé.

L’agri-mafia ce sont toutes ces personnes qui déclarent à l’Europe des terres pour toucher des subventions. Ces terres sont toujours vides, dénuées de toute activité agricole. Il s’agit donc de fausses déclarations qui, selon Anticor, sont à l’origine du vole de 8 à 10 millions d’euros chaque année.

Donner des subventions sans contrôle c’est faire prospérer le crime organisé. Le problème principal de ce genre de pratiques réside dans l’impact qu’elles ont sur les vrais éleveurs : comment avoir des subventions lorsque toutes sont attribuées à des marchands de sommeil ?

Des acteurs politiques locaux s’érigent en espoir pour la lutte antimafia

Si le tableau semble à ce stade bien sombre, il est essentiel de rappeler que certains ne se laissent pas décourager par les menaces et les tirs sur leur lieu de résidence. C’est le cas de David Brugioni, maire de Centuri.

Ce maire dérange en ce qu’il s’oppose fermement à la mafia. A sa prise de fonction, il découvre des anomalies dans les archives de la mairie : de 2011 à 2014 il y a eu une absence de conseils municipaux et donc de décisions municipales. Lors de l’enquête ces manques permettent de découvrir de fausses factures, de faux en écriture publique, etc. David Bruggioni porte plainte et en représailles les menaces sont nombreuses.

On est au contact de ce système mafieux avec des mafieux qui nous disent ouvertement « on va vous dégager« .

David Brugioni

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