Lundi 2 mars 2020, deux membres du bureau de Crim’HALT se sont risqués à aller voir « The Gentlemen » de Guy Ritchie, un film sur les barons de la drogues en Angleterre.

Synopsis : Quand Mickey Pearson, baron de la drogue à Londres, laisse entendre qu’il pourrait se retirer du marché, il déclenche une guerre explosive : la capitale anglaise devient le théâtre de tous les chantages, complots, trahisons, corruptions et enlèvements… Dans cette jungle où l’on ne distingue plus ses alliés de ses ennemis, il n’y a de la place que pour un seul roi !
« Se risquer » à aller voir un film sur le crime organisé, les mots sont justes. Apologie de la mafia, banalisation des activités criminelles et de la violence, mise en avant des produits stupéfiants, tout y était. Mais avant de parler plus en détails de ces 1h53 pro-mafia, il est nécessaire de préciser que nous nous attachons ici à analyser le contenu du film et ses représentations afin d’apporter une critique sur le message qu’il fait passer au public. Ainsi, toutes les critiques concernant le retour de Guy Ritchie, de son identité de réalisateur affirmée avec ce film, etc. ne sont pas le sujet de cet article.
(…) Gangsters chics, trafic de beuh et grosses bastons (…).
GQ
Des images et couleurs parlantes
Dès le générique du film le spectateur est plongé dans l’univers du crime organisé à travers ses représentations les plus connues. Un homme fume et la fumée qu’il expire prend successivement la forme d’une arme, de feuilles de cannabis, de courses équestres, de billets, etc. Avant même que le film commence, son thème central apparaît donc sans équivoque.
C’est aussi à ce moment que s’instaure un code couleur non négligeable lorsque l’on parle du crime organisé : des couleurs fluo, notamment vertes et violettes, ressortent. Si cela peut passer pour un détail ou un simple effet de style, il faut rappeler que les codes couleurs dans le cinéma ne sont pas sans conséquences. Chaque couleur renvoie à une émotion, un sentiment, un ressenti chez le spectateur. Le violet est connu comme une étant une couleur qui va jouer sur l’imaginaire et s’apparente aux fantasmes. Le vert quand à lui est à l’origine apparenté au mal, au désordre et à la transgression de l’ordre. Cette symbolique du vert très présente au Moyen Age s’est aujourd’hui transformée pour en devenir tout l’opposé à savoir : le bien, ce qui est permis, la nature, l’espoir, etc. Ces couleurs sont présentes dans le générique mais également plus tard dans le film lorsque les plantations de cannabis apparaissent à l’écran.
En bref, la combinaison d’images évoquant le crime organisé et de couleurs significatives renvoie des messages clairs : La drogue, les armes, la violence comme fantasmes et le double jeu légal/illégal de ces activités.

L’importance et le rôle de la femme
S’il est courant d’entendre que les femmes de criminels sont toujours en dehors des histoires de leur mari, qu’elles ne savent rien et ignorent tout de l’identité « caché » de celui qui partage leur vie ; « The Gentlemen » montre la face cachée des femmes.
Lors de la mise en place de l’histoire, deux femmes apparaissent aux côtés de leur mari et écoutent la conversation entre les hommes à propos de leurs activités. Puis, au fur et à mesure, on découvre que l’une d’entre elle a également un rôle de conseil et que son avis est pris en compte dans la prise de décision.
Cette image de la femme de mafieux est proche de la réalité. En effet, de nombreuses femmes ont été « cheffe de clan », d’autres ont eu un rôle majeur dans les activités criminelles. Il est par exemple possible de citer Giusy Vitale, Pupetta Maresca, Erminia Giuliano, etc. Les femmes sont des atouts au sein de la mafia : elles ne servent pas qu’à entretenir le foyer mais ont un rôle dans les organisations criminelles. Les femmes sont aussi les gardiennes de l’omertà et de la transmission des valeurs du milieu : elles élèvent leurs enfants dans les traditions mafieuses et si elles parlent, nombre de révélations peuvent être faites et nuire à leur clan.
Retrouvez plus d’informations sur « les femmes d’honneur » ici
Néanmoins, aucune image n’est là pour rappeler qu’être une femme de mafieux ou une femme mafieuse c’est aussi accepter de perdre sa famille, son mari. Montrée dans le film comme « femme d’affaires », il est facile pour le spectateur d’admirer cette « femme forte sans peur ni hésitation » et d’envier sa position.
La banalisation du crime organisé
Le film est uniquement centré sur les chefs de clans et sur leur second. Ainsi, le rôle de « tout puissant » n’est jamais entaché par la réalité du crime organisé pour les « petites mains » et pour ceux qui subissent cette présence, à savoir la population.
Pourtant, une opposition est faite entre la pègre qui contrôle et la population qui consomme. Il n’est pas un seul instant où les « camés » ou jeunes de la rue prennent l’avantage ou semble l’avoir sur les mafieux. Les « forts » s’en prennent aux « faibles » avec un langage qui n’est pas anodins et qui vise en permanence à les rabaisser. Un état de faiblesse qui est également montré visuellement par les habits et les attitudes des différents personnages. Des gestes qui sont commis avec une facilité et un naturel déconcertant, provoquant chez le spectateur un sentiment de respect et d’admiration envers ceux qui sont capables du pire pour parvenir à leurs fins.
Face à la mafia, personne n’a le droit de parole. Face à la pègre, personne n’a le droit de s’opposer. Si de tels actes sont malgré tout commis, c’est au risque de perdre la vie comme cela se produit à plusieurs reprises dans le film. Bien entendu, personne ne peut rivaliser et aucune force ou institution ne semble leur faire concurrence.
Egalement, le crime organisé est montré comme banal et comme une voie dans laquelle il est facile de réussir et de s’engouffrer avec « les gamins », un groupe de jeunes qui commencent par voler des plans de cannabis pour finir au service d’un baron de la drogue. Tout cela est amené sous l’étiquette de « compte à rendre » mais montre en réalité l’excitation de jeunes à participer à des activités criminelles.

Une fois de plus, le côté négatif de la mafia est inexistant au profit de l’engouement à tuer, contrôler et dominer toute personne « qui dérange ».
En somme, The Gentlemen peut être perçu comme un film pro-mafia. La capacité de jugement du spectateur sur ce qu’il observe est nulle puisqu’il n’a pas de point de vue différent pour permettre la mise en perspective. De plus la façon dont le film est réalisé avec des plans qui changent sans cesse et un flot de paroles continu renforce ce premier fait : le spectateur est assailli d’informations et il n’a pas le temps d’analyser, de prendre du recul.
Des points positifs ressortent tout de même
Tout d’abord, l’héroïne et la cocaïne sont décrites et montrées comme des drogues portant atteinte à la vie. Les personnes qui entretiennent ce commerce en vendant les substances sont elles dénoncées comme meurtrières.
Si la banalisation du crime organisé est un fait dans ce film, le nombre de morts apporte un aspect positif. En effet, il montre comment une simple histoire entre deux personnes devient l’histoire de tous, le problème de tous, entraînant ainsi un nombre de victimes considérables. Le milieu de la pègre est un monde fermé où tout se sait et où chacun est responsable.
Le plus fort est également le plus offrant : de nombreuses personnes dans le film se sont détournées de leur « chef » initial pour en rejoindre un autre, ou du moins coopérer avec un autre. Les jeux de pouvoirs au sein de la mafia sont donc mis en avant et ils dénoncent un monde où le pouvoir est tout. Il faut se battre pour l’avoir, peu importe les conséquences.