
Lundi 23 mai 2022, Fabrice Rizzoli, fondateur de l’association anti-mafia « Crim’HALT » (Crim’HALT comme « alternative ») et spécialiste des mafias, était au micro de « Vatican News » avec Olivier Bonnel pour parler de l’assassinat du juge Giovanni Falcone à l’occasion des 30 ans de sa mort le 23 mai 1992.
Fabrice Rizzoli : « La mafia a à partir de ce jour choisit une lutte frontale, terroriste, contre l’État italien. Cette lutte a été confirmée par d’autres attentats par la suite notamment sur le sol italien, donc en dehors la Sicile, à Florence, à Rome et à Milan. Ainsi, au-delà du juge Falcone qui a marqué les italiens il s’agit bien du début d’une stratégie de la terreur menée par les Corléonais contre l’État italien et donc quelque part contre l’ensemble du peuple Italien. »
Olivier Bonnel : « Si on revient un peu sur le parcours et la figure de Falcone qui était devenu l’ennemi numéro un de Cosa Nostra, la mafia sicilienne, comment était-il devenu ce personnage à éliminer ? »
Fabrice Rizzoli : « Il est devenu un personnage à éliminer pour les Corléonais notamment parce qu’il est responsable d’une série de mesures révolutionnaires pour lutter contre la mafia. Tout d’abord, il a inventé le système d’enquête « Follow the money », « Suivre l’argent », qui permet de lutter contre la mafia à partir du blanchiment et des complices de la mafia. Aujourd’hui, cette façon de mener des enquêtes n’est plus remise en cause. Il a également permis le maxi-procès qui par sa décision historique en cassation du 30 janvier 1992 démontre l’existence de la mafia dans l’enceinte d’un tribunal, une mafia sicilienne. Ce maxi-procès a été permis grâce à l’utilisation du premier grand collaborateur de justice, que l’on appelle souvent à tort un repenti, Tommaso Buscetta. Ce dernier montre au peuple italien que la mafia existe en rompant la loi du silence. Enfin, Giovanni Falcone bien qu’il ait connu de grands problèmes avec ses collègues et des politiciens qui ne l’ont pas toujours soutenu, a fait voter à la fin de son existence en 1991 une série de mesures terribles contre la mafia sicilienne et les autres mafias en général. Nous pouvons citer le statut de collaborateur de justice, le super parquet national antimafia, et le fameux article 41 bis du code de procédure pénale qui permet l’isolement strict des chefs mafieux les plus dangereux. Cet article du code de procédure pénale conduit à la collaboration avec la justice, incite les mafieux à collaborer avec la justice. Pour tout cela, Toto Riina avait décidé la mort du juge Falcone. »
Olivier Bonnel : « Peut-on dire qu’il y a un avant et un après juge Falcone dans la manière dont il a imposé justement de manière institutionnel cette lutte antimafia ? »
Fabrice Rizzoli : « Il y a un avant et un après juge Falcone dans sa manière de faire les enquêtes même s’il n’a pas tout inventé et il n’était pas seul c’est important de le dire. Le pool de magistrats venait d’un autre magistrat, Rocco Chinnici, qui a été assassiné à la bombe en 1983, mais le juge Falcone a mis en place un système de lutte ultra efficace contre la mafia qui a d’ailleurs complètement redimensionné la mafia sicilienne. En effet, entre la mafia sicilienne qui importait des tonnes de cocaïne en Europe et aujourd’hui des familles mafieuses qui font du vol de bijoux par des cambriolages chez des particuliers, il y a vraiment deux mafias siciliennes et ce sont vraiment les instruments que le juge Falcone a mis en place qui ont permis de redimensionner la mafia sicilienne. »
Olivier Bonnel : « Aujourd’hui le mode opératoire des mafias et de la mafia sicilienne a beaucoup changé. Comment peut-on retrouver l’héritage de Giovanni Falcone dans la lutte contre la mafia aujourd’hui, 30 ans plus tard ? »
Fabrice Rizzoli : « Les attentats de 1996 ont été le fruit d’un plan stratégique, d’une alliance avec les personnes qui vont arriver au pouvoir les vingt prochaines années, le berlusconisme, et en échange la mafia devait s’engager dans une stratégie de l’immersion qui a été incarnée par Bernardo Provenzano, celui qui a succédé à Toto Riina à la tête de la mafia sicilienne. De ce fait, la mafia ne tue plus. il n’y a plus aucun homicide de personnes depuis 1993, il y a bien sûr toujours les menaces au quotidien, le racket et les voitures brûlées de certains journalistes mais la mafia ne tue plus. La mafia sicilienne ne se tue même plus en elle puisque vous avez en gros cinq homicides par an, ce qui pour cinq millions d’habitants est certainement le taux d’homicide le plus faible dans le monde entier. En revanche, c’est certainement dû aussi à l’intervention de l’État et aux outils de Giovanni Falcone et de ses collègues puisqu’aujourd’hui on confisque les biens de la mafia, on permet aux mafieux de devenir des collaborateurs de justice et on utilise les biens de la mafia. A propos de ce dernier point, depuis la loi de 1996, la villa de Toto Riina est devenue une caserne de carabiniers et le terrain agricole devient une coopérative et donc la société civile est acteur contre la mafia ce qui est aussi l’héritage de Giovanni Falcone et de Rocco Chinnici et des autres magistrats qui avaient compris qu’il fallait aussi parler à la population comme se déplacer dans les lycées. Avec cette loi révolutionnaire de l’usage social des biens confisqués, on a un climat très différent en Italie. »
Oliver Bonnel : « Une dernière question Fabrice sur la figure de Falcone évidemment extrêmement populaire en Italie mais aussi au-delà dans le monde entier, il représente justement la lutte contre la mafia et donc comment d’autres pays européens ou même hors Europe aujourd’hui s’inspirent du modèle italien de l’antimafia ? »
Fabrice Rizzoli : « Ce qu’il faut dire, c’est que l’efficacité des outils italiens, puisque l’Italie c’est le pays de la mafia et de l’antimafia, ont été démontré donc chaque pays essaye de temps en temps d’implémenter des outils antimafia italiens comme par exemple la confiscation. Un seul exemple. En France avant 2010, on ne confisquait absolument aucun des biens du crime organisé alors qu’aujourd’hui on a une agence de gestion des avoirs saisis et confisqués qui confisque les biens du crime organisé et c’est pareil en Grande Bretagne, en Irlande, etc. Cependant, il faut dire que tout ceci et aussi un plan de l’Europe parce qu’il y a eu à la commission crime des directives qui enjoignent les États européens à prendre des mesures de lutte contre le crime organisé qui s’inspirent fortement du modèle italien. »
Oliver Bonnel : « Sur Cosa Nostra quand on parle aujourd’hui de mafia italienne on pense plutôt à la ‘Ndrangheta, la mafia de calabre qui est la plus puissante au monde, alors que représente aujourd’hui Cosa Nostra qui aujourd’hui un petit peu dans l’ombre de la ‘Ndrangheta ? »
Fabrice Rizzoli : « Cosa Nostra est dans l’ombre parce qu’elle ne tue plus et qu’elle fait beaucoup moins de chiffre d’affaires que le mafia calabraise qui a une très grosse importance dans le trafic de cocaïne, qui est aujourd’hui beaucoup plus important que la consommation d’héroïne. Malgré tout, il faut faire attention parce que la Sicile c’est cinq millions d’habitants, c’est une bourgeoisie mafieuse qui est encore très puissante, donc c’est-à-dire un corps social fait de mafieux et de complices et donc on continue d’arrêter régulièrement des politiciens qui sont complices de la mafia sicilienne preuve donc qu’elle n’est pas morte. »
Pour écouter son passage dans « Vatican News », cliquez sur le lien suivant : Il y a 30 ans, l’assassinat du juge Giovanni Falcone bouleversait l’Italie