Dans le cadre du séminaire « Hors la loi », séminaire de doctorant-es en littérature comparée organisé entre 2020 et 2022 à l’Université Sorbonne Nouvelle et consacré aux inscriptions littéraires et artistiques de l’illégalité, Antoine Ducoux, doctorant en littérature comparée, s’entretient avec Fabrice Rizzoli, co-fondateur de Crim’HALT, sur les enjeux politiques et juridiques de la lutte contre la mafia en Europe, ainsi que sur l’usage pédagogique des séries télévisées dans l’enseignement des problématiques de la grande criminalité.

Antoine Ducoux et Fabrice Rizzoli, « Entretien avec Fabrice Rizzoli » TRANS- [En ligne], Séminaires, mis en ligne le 31 décembre 2021. https://doi.org/10.4000/trans.7349
La multiplication des séries télévisées grand public sur la grande criminalité internationale (Narcos, Gomorra…) nous invite à nous interroger sur les enjeux politiques de ces récits souvent accusés de ne pas représenter fidèlement la réalité, et à exercer notre regard critique pour décrypter le filtre à travers lequel ils présentent leur référent. Enseignant en géopolitique des criminalités, Fabrice Rizzoli intervenait au séminaire Hors la loi en 2021 sur le thème suivant : « Géopolitique critique des criminalités : le paradigme légal-illégal au prisme des représentations fictionnelles », pour partager l’expérience d’un enseignement mené auprès des étudiants de deuxième année de Sciences Po Paris. Dans cet entretien, il explique l’adoption récente de la loi sur l’usage social des biens confisqués au crime organisé en France et commente l’usage pédagogique et civique des fictions à thème criminel auprès des élèves et du grand public.
« La criminalité organisée s’est-elle constituée en champ de recherches autonome ? Quelles sont les différences qu’on peut observer entre la France et l’étranger ? À l’étranger, la grande criminalité est étudiée à l’université, en Italie mais aussi dans le monde anglo-saxon. La criminologie y est une discipline à part entière […] Elle n’est pas appréciée dans l’université française, où peu de chercheurs s’intéressent d’ailleurs à la présence de la « grande criminalité » en France. […] Ce qui manque actuellement, ce sont des recherches universitaires sur le crime organisé en France. Actuellement, personne n’a encore proposé d’ouvrage en français sur la sociologie du crime organisé en France. Il existe quelques articles scientifiques (voir Nasser Lallam et Jean-Louis Briquet) mais les recherches ne sont pas toujours poursuivies sur le moyen terme. Il y a ainsi des sources, très hétérogènes, qui vont du journalisme et des essais écrits par d’anciens gangsters aux articles universitaires comme ceux de Nasser Lalam (How organized crime is organized) en passant par la seule thèse en sociologie qui existe à ce jour. Pour avoir une idée du crime organisé, il faut lire toutes ces sources afin de construire un cadre pour la géopolitique de cette criminalité.
À quels projets participez-vous dans le domaine de la sensibilisation du grand public à la criminalité ? […] Face à la criminalité organisée, on peut organiser des conférences, mais ce n’est pas impliquant. Je me concentre donc sur l’usage social des biens confisqués, car c’est le seul moyen d’impliquer des citoyens dans des prérogatives régaliennes. L’idée est qu’au lieu de revendre un bien qu’on a confisqué, on y met une association, un acteur économique comme une coopérative. […]
De quelles manières les représentations fictionnelles peuvent-elles aider à questionner les paradigmes d’analyse sur le crime organisé ? Comment abordez-vous les écarts entre la fiction et la réalité ? Le support des séries télévisées est actuel, pratique, et fidèle au sens où il représente des éléments qui correspondent à ce que j’enseigne sur la grande criminalité. La vocation de mon cours n’est pas de faire une critique dramaturgique des séries télévisées, mais de s’en servir en les mettant en rapport avec les contenus enseignés. Par exemple, j’explique dans le cours ce qu’est un « effet-ciseau », soit l’augmentation d’un phénomène et la baisse d’un autre en même temps. Si les dépenses budgétaires d’une commune augmentent et qu’en même temps la dotation globale de fonctionnement de l’État baisse, cela oblige la commune à prendre des emprunts parfois… toxiques. C’est ce que j’explique aux étudiants avec la criminalité environnementale : il y a toujours plus de lois qui encadrent la protection de l’environnement, ce qui augmente le prix de celle-ci. Avant, déverser des produits toxiques dans les rivières était gratuit, maintenant il faut payer pour recycler. Il arrive que l’entrepreneur fasse appel à des gangsters qui le débarrassent des déchets. Mais en même temps, partout dans le monde, sous le coup des politiques libérales, il y a une baisse du recrutement des fonctionnaires, des policiers spécialisés, et donc une baisse des contrôles : c’est l’effet-ciseau qui profite au crime organisé. […] Toujours en lien avec ma problématique, cette critique peut s’étendre à tous les objets que l’on voit en cours : la prohibition, la mafia, la définition du crime organisé par la Convention de Palerme… Les étudiants sont aussi invités à identifier des discordances et à commenter une vision stéréotypée de la mafia loin de la définition donnée en cours. »
Propos recueillis par Antoine Ducoux le 25 novembre 2021
Retrouvez l’entretien d’Antoine Ducoux et de Fabrice Rizzoli en intégralité en cliquant sur le lien suivant : Entretien avec Fabrice Rizzoli.
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