Tribune de Crim’HALT à Marianne sur la “lutte contre le crime organisé” 

En France, la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la confiscation en matière pénale est à l’initiative de la création de l’AGRASC (l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués). En 2021, le Parlement français adopte un dispositif d’affectation sociale, qui permet la mise à disposition des biens confisqués aux criminels à la société civile : au sein d’associations et d’autres infrastructures d’intérêt général.

Par ailleurs, voici un article de Crim’HALT sur l’Usage Social des Biens Confisqués (USBC). A ce jour, 4 immeubles confisqués à des groupes criminels sont mis à disposition des associations d’intérêt général. On peut faire plus !

L’association Crim’HALT, sous l’élan de Marcel Hipszman, ancien adjoint du Délégué à l’Économie Sociale et Solidaire, publie cette tribune dans le journal Marianne.

« La lutte contre le crime organisé, c’est l’affaire de tous ! »

Par Marcel Hipszman et Fabrice Rizzoli

Publié le 25/01/2023 à 11:36

La société civile a un rôle indispensable à jouer dans la lutte contre le crime organisé. L’exemple de l’Italie est à cet égard très éclairant. Pour Marcel Hipszman, ancien adjoint du Délégué à l’Économie sociale et solidaire (ESS) et Fabrice Rizzoli, criminologue et Président de Crim’HALT, à la tête d’un collectif composé d’associatifs et de représentants de l’ESS, la France doit accélérer ce mouvement de prise de conscience.

La dénonciation par la procureure de Paris de l’emprise croissante du crime organisé en France sonne comme un cri d’alarme lancé à l’opinion publique. Elle agit comme le révélateur d’une situation dont on a mis longtemps à mesurer la véritable dimension. Le crime organisé, nous dit-elle, est un défi majeur qui présente « des risques de déstabilisation de notre état de droit, de notre modèle économique mais également de nos entreprises ».

Cette prise de parole publique est assez inhabituelle de la part d’un haut magistrat. Elle exprime une certaine forme de désarroi de l’institution judiciaire engagée dans un combat qui s’apparente au travail de Sisyphe. La lutte contre le trafic de drogues en est un bon exemple, les réseaux démantelés ne tardent pas à se reconstituer.

APPEL À LA SOCIÉTÉ CIVILE

On pourrait citer bien d’autres exemples dans les domaines les plus divers, de l’agroalimentaire au médicament ou au traitement des déchets. Son aspect le plus insidieux est sans doute l’infiltration des réseaux criminels dans les activités légales permises par la corruption à grande échelle et l’existence de réseaux financiers occultes. 

« En Italie, c’est la mobilisation de la société civile qui a permis l’adoption d’un véritable plan antimafia. »

Le constat est sans équivoque mais ce n’est pas un constat d’impuissance. Les résultats obtenus sur le territoire national grâce, et de plus en plus, à la coopération au niveau international, sont là pour le prouver. Dernier exemple en date, le 2 décembre l’annonce par l’OCRTEH (Office Central pour la Répression de la Traite des Êtres Humains) du démantèlement d’un réseau international de prostitution dirigé depuis la Colombie avec des ramifications en France et en Espagne.

Le message de la magistrate s’adresse avant tout à une opinion publique indifférente et mal informée de la menace réelle que représente le crime organisé, pas seulement pour ceux qui en sont les victimes mais pour la société tout entière. Faire changer le regard des citoyens vis-à-vis d’un phénomène qui gangrène la société, c’est la condition de leur engagement dans un combat que les moyens répressifs, si nécessaires soient-ils, ne suffisent pas pour le gagner.

L’EXEMPLE ITALIEN

Il ne s’agit pas pour tout un chacun de se muer en justicier, mais la société civile a un rôle indispensable à jouer. L’exemple de l’Italie est à cet égard très éclairant. Dans ce pays, c’est la mobilisation de la société civile, associations, organisations coopératives, syndicats, partis politiques, universités, église, etc. qui a permis l’adoption d’un véritable plan antimafia avec un ensemble de mesures au niveau législatif notamment la confiscation des avoirs criminels et leur affectation à des organismes d’intérêt général, rendant ainsi plus efficace la lutte contre les organisations mafieuses.

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C’est ainsi qu’en Italie on compte aujourd’hui 17 300 immeubles mis à disposition de ministères, collectivités territoriales, forces de l’ordre, préfectures, protection civile, pompiers, Croix Rouge… Sur ce total, un millier d’immeubles sont gérés directement par des organisations citoyennes (505 associations, 198 coopératives, 26 fondations, 27 écoles, 16 associations sportives, 16 organisations scoutes, 5 organismes de formation et ordres professionnels…)

« Les mafias en Italie n’ont certes pas disparu pour autant. »

Il a fallu également le courage et la détermination de magistrats et de policiers et de citoyens dont certains l’ont payé de leur vie. Depuis 1978, le Centre Impastato du nom d’un jeune militant assassiné sensibilise des générations à l’antimafia sociale.

ET EN FRANCE ?

Les mafias en Italie n’ont certes pas disparu pour autant, mais leur emprise sur les territoires les plus exposés a reculé. Ce combat se poursuit aujourd’hui, encore animé par de très nombreuses associations. L’association Libera, à l’origine de la loi d’usage social des biens confisqués, regroupe par exemple à elle seule 1 700 associations antimafias.

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En France, on en est encore loin d’une telle mobilisation mais des progrès ont été accomplis depuis une douzaine d’années avec la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la confiscation en matière pénale qui élargit le champ des biens concernés et crée une agence, l’AGRASC (Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués) chargée de les gérer. L’opinion publique évolue également, les affaires concernant le crime organisé ne sont plus seulement reléguées à la rubrique faits divers des journaux.

Les signes sont de plus en plus nombreux. C’est la réaction des femmes des quartiers nord de Marseille, premières victimes des réseaux criminels, qui demandent qu’une partie des biens confisqués soient affectés à des projets d’économie solidaire en faveur des habitants des quartiers. C’est en Corse où se constituent des associations antimafia (collectif Massimu Susini et Maffia No) et où l’Assemblée de Corse elle-même dénonce « les dérives mafieuses ». C’est aussi le travail de sensibilisation d’associations inspirées du modèle italien comme Crim’HALT.

UN COMBAT CAPITAL

L’adoption en 2021 par le Parlement d’un dispositif dit d’affectation sociale, permettant la mise à disposition d’associations et autres organismes d’intérêt général des biens confisqués aux criminels est un signe majeur. Aujourd’hui, 4 immeubles confisqués à des criminels mis à disposition à des associations.

« Cette loi témoigne de l’engagement de la société civile et de l’économie sociale et solidaire au premier chef. »

Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a signé le 23 janvier 2023 le contrat de bail mettant un immeuble confisqué à un marchand de sommeil près de Dunkerque à la disposition d’Habitat et Humanisme qui s’occupe du logement de personnes défavorisées.

Outre sa portée symbolique, cette loi témoigne de l’engagement de la société civile et de l’économie sociale et solidaire au premier chef, dans un combat capital pour la préservation de nos institutions démocratiques et du vivre ensemble dans une société préservée de la violence.

Signatures :

Marcel Hipszman, ancien adjoint du Délégué à l’Économie Sociale et Solidaire

Fabrice Rizzoli, Président de Crim’HALT

Élise Van Benenden, Présidente d’Anticor

Bernard Devert, Président Fondateur d’Habitat et Humanisme

Josette Dall’Ava Santucci, collectif antimafia Maffia No a Vita IE

Jean Jérôme Mondoloni, collectif antimafia Maxime Susini

François Soulage, ancien Président du Secours catholique

Stefania Carminati association antimafia DeMains Libres

Baudoin de Pontcharra, président de Solidarités Nouvelles pour le Logement

Hugues Sibille, Président du Labo de l’ESS, ancien délégué interministériel à l’ESS

Thierry Jeantet, auteur de « l’Économie Sociale et Solidaire, la Clé des Possibles » Edt. Les Petits Matins

Jacques Dughera, président du RELAIS

Maxime Baduel, délégué général Maxime Baduel, délégué général (SNL-Union)

Scarlett Courvoisier Wilson, ex-chargée de mission à la Délégation interministérielle à l’economie sociale et solidaire

Jean Pluvinage, Fondation Terres de liens ….

Ressources :

Plaidoyer

Le décret USBC : on parle de nous

L’Italie exporte en France l’Usage social des biens confisqués

Crim’HALT signe la tribune pour la légalisation du cannabis

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