Crim’HALT auditionnée par la Commission Violence en Corse

 

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Au milieu des produits antimafias

Le 8 octobre 2015, la Commission Violence de l’Assemblée territoriale invitait le président de Crim’HALT. La  Région Corse se compose d’un exécutif avec son président, Paul Giacobbi (qui a été mis en examen pour détournements de fonds publics), et d’une Assemblée, elle-même présidée par Dominique Bucchini. Ce dernier a mis en place une commission de lutte contre la violence, qui a notamment été présentée aux jeunes corses en janvier 2015. Pour cette dernière réunion de la mandature, il n’était plus question de violences faites aux femmes ou de violences à l’école mais de violences « économiques », celle des criminels professionnels (Corse : mafia or not mafia? That is the question!).

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Pas d’élus à la Commission

À l’exception d’Etienne Bastelica (président du Front de Gauche en Corse) et de Dominique Bucchini, aucun élu n’est venu entendre les témoignages et les pistes proposées, tandis qu’ils étaient nombreux lors des autres sessions (cf. Corse matin, les élus sèchent…)

Les témoignages de Mme Bianconi (association anti-racket), puis de Gigi et Jean-Jacques Ceccaldi, un couple d’entrepreneurs rackettés qui a porté plainte mais dont le procès s’est soldé par une relaxe, furent émouvants (cf. FLARE France). Que de solitude face à une menace aussi forte ! Que le prix est élevé pour avoir fait valoir ses droits de citoyens ! Les médias aussi avaient fait le déplacement ; soit comme intervenant avec Thomas Brunelli, journaliste en Corse, et avec Salvatore Cusimano de la RAI-Sicile qui a envoyé une vidéo, soit comme témoins, avec la présence toute la journée de Corse matin et de Radio RCFM (itv du 9 octobre)

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F. Rizzoli, T. Brunelli, Gigi & JJ Ceccaldi

A la demande de la Commission, Fabrice Rizzoli a présenté une géopolitique critique des criminalités (cf. Séminaire Sciences Po Paris) : « Il n’y a pas d’un côté une économie légale et de l’autre une économie illégale, mais une seule économie dont les composantes sont enchevêtrées et solidaires » (source : Atlas de mafias, ed Autrement, 2014, p. 19.). La Corse, la France et l’Europe sont au cœur d’un système politico-économique mondial qui produit de la criminalité. Ce sont les fabricants de cigarettes qui se débarrassent de leur stock de cigarettes auprès des trafiquants, et non pas ces derniers qui impulsent la contrebande de tabac dans le monde. C’est la « mondialisation » qui fabrique toujours plus de déchets ; une croissance associée à une production de normes qui accouche de facto des réseaux parallèles d’écoulement de ces déchets. Les criminels ne sont pas des déviants, hors de la société. Ils sont insérés dans la société. Ils font partie intégrante du monde d’aujourd’hui (travaux Jean de Maillard, brillant magistrat français). Relativement à d’autres régions, la violence des professionnels du crime est sans aucun doute exacerbée en Corse.

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La confiture antimafia Libera terra

Il n’existe cependant aucun présupposé culturel, en Corse comme ailleurs, qui expliquerait une violence de ce type. Pour la Corse, comme pour le monde, des solutions existent. Il appartient à l’État et aux élites de les proposer aux citoyens. Il n’est pas acceptable que l’État en appelle à la responsabilité individuelle sans prendre sa part. Comment demander à un élu de témoigner contre des malfrats, si le Préfet lui-même n’assure pas le contrôle de légalité ? L’État demande à des citoyens de lutter contre la corruption, mais c’est le Ministre de la Justice qui nomme le procureur. On ne peut pas demander aux commerçants rackettés de témoigner si on ne met en place un système de protection des témoins (cf. Le décret sur les « coopérateurs de justice » enfin signé ?). On ne peut pas demander d’impliquer la société civile sans lui attribuer le fruit des biens confisqués…

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Aliments antimafias Libera Terra

Sur la violence comme sur l’économie criminelle mondialisée, Fabrice Rizzoli est revenu sur les solutions culturelles visant à impliquer la société civile, seule manière de renverser le rapport de force aujourd’hui en faveur des corrompus de tous bords. Il propose des projets pédagogiques dans les écoles (cf. « Entre les Lignes« ), revenant sur les expériences de lutte contre le racket en Italie (Addio pizzo)…. Citant le travail de l’association Anticor et de son référent en Corse Vincent Carlotti (cf. Tribune « Le Monde« ), Fabrice Rizzoli a aussi évoqué la situation du maire de Linguizetta menacé parce qu’il fait son travail d’élu en respectant le PLU, une mission peu soutenue par les préfets qui se succèdent (cf. Article « Le Monde« ).

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E. Bastelica, F. Rizzoli, D. Bucchini

Présentant le modèle italien de lutte contre la grande criminalité, qui a fait baisser la violence de façon considérable par exemple en Sicile (5 meurtres mafieux par an pour 5 millions d’habitants), Fabrice Rizzoli a insisté sur l’usage social des biens confisqués comme mesure phare contre la violence. Il note qu’après 5 ans de lobbying en France, seule l’association Anticor à intégré dans son plaidoyer (art 19.) l’usage social des biens confisqués. Anticor est une véritable association, « du bas vers le haut », qui refuse les subventions pour préserver son indépendance. Il n’est donc pas étonnant que seule à ce jour, elle ait compris l’intérêt d’une telle mesure pour lutter contre la corruption.

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E. Bastelica, F. Rizzoli, D. Bucchini, Gigi & JJ Ceccaldi

En fin d’audience, Fabrice Rizzoli a offert des produits fabriqués par des coopératives sur des terres confisquées à la mafia. Depuis une loi de 1995, l’État peut mettre à disposition des citoyens des biens confisqués aux mafieux (cf. Article réference). La première coopérative en Sicile date des années 2000. En 2012, une écoute téléphonique a révélé qu’un mafieux se plaignait que des jeunes de l’arrière-pays de Palerme aient demandé un contrat de travail dans ces domaines agricoles.

Le cercle vertueux qu’amorce l’usage social des biens confisqués change les mentalités.

Le couple de citoyens victimes de racket est reparti avec un paquet de pâtes complète bio dont les céréales sont faites à Corleone, fief de la mafia et de l’Antimafia. Le président de la Commission, Dominique Bucchini, est reparti avec un pot de confiture de citrons produits par une coopérative dans l’arrière-pays de Palerme. Le terrain appartenait à un chef de la mafia qui a fait assassiner le juge Giovanni Falcone. Aujourd’hui, des jeunes gagnent leur vie honnêtement sur ce terrain.

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