Fabrice Rizzoli, invité d’Yves Calvi sur RTL : les coulisses de la mafia calabraise 

Fabrice Rizzoli, président de Crim’HALT, docteur en sciences politiques et spécialiste en grande criminalité fut l’invité d’Yves Calvi pour la radio RTL le 4 mai dernier. 

L’échange s’est fait autour de la mafia calabraise appelée la ’Ndrangheta, qui est considérée comme une des organisations mafieuses les plus puissantes du monde. 

En constante évolution, elle est récemment au centre des préoccupations. Dans 8 pays européens (en Allemagne, en Italie, en France, en Espagne, au Portugal, en Slovénie, en Belgique, en Roumanie) a été lancée une opération d’arrestation, comptant presque 3000 policiers déployés. 

  • Yves Calvi : Fabrice Rizzoli, aidez-nous à comprendre qui est cette puissante mafia calabraise que l’on nomme la ’Ndrangheta. Combien de personnes la composent ? 
  • Fabrice Rizzoli : Il existe une guerre de chiffres depuis 2-3 ans. Personnellement, j’en étais resté à 8000 mafieux calabrais, dont 4000 en Calabre et 4000 répartis en Italie et en Europe. La Direction des enquêtes antimafia a réévalué le nombre à 20 000. Si l’on tient compte de la diaspora au Canada et en Italie depuis les années 50, effectivement les nombres augmentent. 

Source : CALABRIA (xrea.com) 

  • Yves Calvi : Ils ont des ramifications tout autour de la planète ? 
  • Fabrice Rizzoli : La grande particularité de la mafia calabraise est d’être présente sur les 5 continents. Elle est très présente en Europe avec une forte diaspora, en Australie, au Canada, aux États-Unis. Les autres pays où il n’y a pas une forte diasporas envoient des émissaires pour faire le lien avec les autres organisations criminelles. J’ai inventé le terme de ‘narco-comptoir’ : il y a 30 ans, la mafia calabraise a envoyé des familles en Colombie, au Venezuela et en Equateur pour rester en contact avec les organisations qui produisent la cocaïne. 
  • Yves Calvi : Le trafic de drogue, c’est le cœur de leur métier ?
  • Fabrice Rizzoli : Le cœur de métier de la mafia calabraise, c’est le contrôle du territoire et le maintien des relations avec la sphère politico-administrative. Ce qui la rend riche et très moderne, c’est son entrée dans le trafic de cocaïne depuis les années 80. Aujourd’hui, c’est une des principales forces d’importation de la cocaïne en Europe. 
  • Yves Calvi : Comment tiennent-ils ce qu’ils veulent de nos jours ? Qu’en est-il de la période des enlèvements ? 
  • Fabrice Rizzoli : A propos des enlèvements, ces actes correspondent plus à une mafia pauvre. Les mafieux allaient chercher de riches industriels dans le nord, qu’ils enterraient dans un trou… On a rarement réussi à délivrer ces personnes. La plupart paient la rançon. Avec cet argent, les organisations entrent d’abord dans les affaires légales, en achetant des camions, en faisant du terrassement dans le btp, etc. Ensuite, ils se livrent au trafic de cocaïne. Ils vont voir les cartels colombiens, mexicains, etc. Ça en devient une véritable opération commerciale. Aussi, la ’Ndrangheta est très bien vue comme mafia. Par exemple, quelquefois, quand la cargaison est perdue (engloutie en mer ou saisie) elle est capable de payer une deuxième fois les pertes, ce qui la rend appréciable auprès des producteurs de cocaïne. 
  • Yves Calvi : On parle d’un chiffre de 50 milliards par an, est-ce concevable? 
  • Fabrice Rizzoli : C’est concevable. Ce chiffre est évalué par 2-3 instituts : d’abord, le syndicat des commerçants italiens ont fait leur expertise. Elle date de 2007-2009. Ensuite, une deuxième étude d’un institut européen arrive à ce chiffre. Une troisième étude est remise en question par le groupe Transcrime Milan, mais ils relativisent le chiffre d’affaires de toutes les mafias. Ces instituts se contredisent, il y a une guerre des chiffres. Le rapport de la drogue est le premier facteur d’accumulation du capital : c’est 40% de l’ensemble des revenus de la mafia calabraise et des autres mafias italiennes. 
  • Yves Calvi : Pouvez-vous nous expliquer la différence entre la mafia napolitaine, sicilienne et la calabraise ? 
  • Fabrice Rizzoli : C’est compliqué ; la mafia calabraise s’inscrit dans une dimension à l’origine rurale et montagnarde, avec un ésotérisme qui plaît. Elle comprend des rites d’affiliation. C’est une mafia dite ‘de sang’, il faut appartenir à la même famille pour en faire partie. Aussi, on peut se marier avec la fille du mafieux et intégrer le clan, s’il y a des enfants : car cela fait perdurer le clan. La mafia napolitaine n’a pas de rite d’affiliation, c’est une mafia ouverte, urbaine, et elle est toute aussi dangereuse. 
  • Yves Calvi : Est-ce qu’elles collaborent entre elles? 
  • Fabrice Rizzoli : Oui bien sûr. Il y a trois semaines, le clan Barbaro en Calabre (qui est une branche de la ‘Ndrangheta) livrait la drogue à la mafia sicilienne. Car aujourd’hui, la mafia sicilienne ne peut plus tellement aller chercher de la drogue à l’étranger. Donc, elle s’approvisionne auprès de la mafia calabraise. Sur les territoires où il existe plusieurs mafias, en général elles coexistent ; mais il peut y avoir des affrontements et des homicides. Ça a été le cas dans le nord de Milan pendant des années. 
  • Yves Calvi : Comment lutter concrètement contre cela ? Est-ce qu’on gagne des batailles contre la mafia ? 
  • Fabrice Rizzoli : Moi je pense qu’on gagne des batailles. Par exemple, il n’y a presque plus d’homicides en Calabre, alors qu’avant il y en avait plus de 500 par an à l’époque des grandes guerres. Aussi, ces organisations sont rationnelles et savent que l’Etat les met en prison, confisque des biens et condamne les chefs mafieux qui donnent l’ordre de commettre des homicides. Grâce aux collaborateurs de justice (il y en avait très peu dans la mafia calabraise), les chefs mafieux savent que l’homicide est moins payant et qu’il vaut mieux être condamné à la prison à vie. D’autres experts disent qu’ils se focalisent sur la corruption. Et ils sont présents dans l’économie légale. Dans les années 80, ils tuaient pères, mères, enfants et étaient aussi présents dans l’économie légale et faisaient aussi de la corruption. On a gagné la bataille du prix de la vie humaine, mais ce n’est pas satisfaisant car la corruption est très importante, sans compter qu’il peut y avoir la mort sociale. 

Ressources : 

Crim’Halt sur BFMTV : le maxi- procès de la mafia calabraise

La mode antimafia contre la ‘Ndrangheta

Le poison de la mafia et la loi du silence

Erasmus+4 dans l’antimafia sociale à Milan

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