Corruption, crime organisé et élections
en Amérique latine
La dizaine d’élections prévues pour cette année pourrait transformer le visage de la région. Lors que plus de la moitié des latino-américains s’apprêtent à voter, les liens persistants entre le crime organisé et la classe politique rendent le tableau électoral très sombre.
Par Rosario Rodas
Le coup d’envoi a été lancé en février dernier avec les élections présidentielles au Costa Rica. En avril c’était le tour du Paraguay, qui changeait de président pour la septième fois depuis l’ouverture démocratique. Ce même mois le Cuba tournait (à moitié) la page « Castro » de son histoire avec l’investiture d’un nouveau président. Le 20 mai les vénézuéliens ont voté pour le maintien de Nicolas Maduro à la tête d’un gouvernement en crise qui s’accroche au pouvoir dans un pays bouleversé.
Le 27 mai, la Colombie élira le successeur du Prix Nobel Juan Manuel Santos dans une élection qui s’annonce historique car ce sera la première fois que la guérilla des FARC, transformée en parti politique, participera aux présidentielles. Le 1er juillet, les Mexicains éliront président, sénateurs, députés et maires. Traditionnellement contraire aux tendances politiques dominantes dans la région, le Mexique semble se tourner à gauche : Andres Manuel Lopez Obrador, candidat pour la troisième fois, fait pour le moment la course en tête. Finalement, le calendrier électoral sera fermé en octobre avec la présidentielle au Brésil, où le favori est l’ancien président Lula, qui purge depuis le 7 avril une peine de douze ans de prison pour corruption.
Et c’est précisément la corruption, endémique dans la région, une des principales menaces qui pèsent sur ces évènements électoraux. La corruption est un problème politique et économique de « haut niveau » qui affaiblit le développement et la démocratie. La corruption des élites et systèmes politiques met en péril l’état de droit et provoque des frustrations parmi les citoyens et, en conséquence, des taux élevés d’abstentionnisme. En réaction à une classe politique fragilisée et décrédibilisée on peut constater l’émergence des outsiders radicaux (Jair Bolsonaro, au Brésil), et des populistes (Lopez Obrador au Mexique et Gustavo Petro en Colombie).
L’affaire Odebrecht c’est peut-être le cas de corruption le plus emblématique des dernières années. Le scandale autour du géant brésilien du BTP a touché la quasi-totalité du continent. Tout éclate en décembre 2015 quand plusieurs cadres du groupe ont confessé devant la justice brésilienne avoir financé des campagnes électorales à travers tout le continent, propulsant des carrières politiques en échange de contrats de marchés publics. Les 77 employés d’Odebrecht – y compris le PDG- ont signé des accords de collaboration –delações premiadas, la version brésilienne du statut de repenti- et fourni des noms, des dates et les montants des commissions versées en échange de plusieurs années de liberté. Au total, près de 800 millions de dollars versés entre 2001 et 2016 dans 12 pays : le Brésil, l’Argentine, la Colombie, la République dominicaine, l’Équateur, le Guatemala, le Mexique, le Panama, le Pérou, le Venezuela. Des enquêtes sont également menées dans deux pays africains : l’Angola et le Mozambique.
Dans tous les cas, le mode opératoire était le même : des contrats surfacturés et dons pour des campagnes politiques passant par une caisse parallèle (d’argent non déclaré) permettaient de dévier de l’argent vers les politiciens en échange d’offres de travaux publics en détournant les règles d’adjudication. Ce cas a dévoilé à quel point la corruption est enracinée dans les systèmes politiques de la région : d’après Marcelo Odebrecht, les opérations avaient cours depuis trente ans.
La corruption qui gangrène les états et fragilise les institutions laisse la porte ouverte à toutes sortes de violence. L’infiltration massive de fonds illicites dans les caisses des États via le financement des campagnes alimente la criminalité organisée. Les réseaux criminels qui se disputent les territoires utilisent la subornation pour faciliter le trafic de drogues, la traite de personnes, le trafic d’armes, et de différents types de crimes environnementaux comme l’exploitation illégale des forêts et la vente d’espèces exotiques.
Dans le cas du Mexique et des pays de l’Amérique centrale les cartels ont pénétré la structure publique à tel point qu’afin de se présenter aux élections, surtout au niveau local, les pactes avec le crime organisé sont incontournables. Le positionnement des gouvernements reste toujours ambigu. De plus, la fragilité des systèmes de justice, la fragmentation des partis politiques, ainsi que les clivages sociaux et le manque de participation civile rendent les politiques de lutte contre la corruption et le crime organisée partiellement inefficaces.
Même si déçus par la politique, les latino-américains peuvent voir dans cette année électorale une nouvelle opportunité de construire leur avenir. Le renouvellement de cycle politique invite aussi à s’interroger sur le modèle de partage du pouvoir dans un contexte régional ou la démocratie fonctionne dans des conditions extrêmes d’inégalité et violence.